jeudi 25 août 2016

1 Femme et 200 Brebis - western



L’amour généré par le couple équivaudra-t-il jamais en quantité et en qualité aux tombereaux de merde produit par 200 brebis ?

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Le drap de lit et la crème tiède de son corps renversé sur le flanc. Et notre présent qui se lézarde. Ne résiste plus à la pression de ce qui vient. Le cheptel. Elle relève la tête me fait part de ses croyances. S’imagine que je vais m’empresser d’allumer mes brebis au mégot de notre amour. Que je vais errer sans recul et sans filtre – comme l’homme allant de cigarettes en cigarettes – et enfoncer de-ci-de-là mon rougeoiement à peine extirpé de ses humides conduits. Elle méconnaît l’ampleur du ciel qui me secondera dans la tâche de vivre. Et la conversation des étoiles à-tue-tête au-dessus de moi. J’en aurai alors pour tous les goûts et pas assez de mes deux mains pour aimer. En attendant elle est là. Qui sent bon la coccinelle et la musaraigne. Je lui parle du manguier sous lequel seront disposés une table et une seule chaise. Elle me répond plus de guêpes que de fruits à la saison de la pourriture. Son corps est pâle les poils de son pubis rampant doucement vers ses aines. L’orgasme devrait tracer une ligne de démarcation entre elle et mon avenir.

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Prisonnier de ma coutumière vision paradoxale des choses, je ne conçois pas lieu plus adéquat que sa cuisine aux petits carreaux blancs ornés d’emblèmes bleuis pour laisser vaguer mon esprit jusqu’à ce lointain où attendent placidement 200 brebis – particulièrement en ces bienheureux matins où un rai de lumière traverse la souillure du ciel mosan pour venir me trifouiller l’estomac et inscrire dans ma rétine sa promesse que l’avenir est pour demain. Ce qui me réjouit. Et ne l’enchante guère – je le perçois à sa manière de faire tinter bruyamment sa petite cuillère contre la faïence de sa tasse de thé, comme un grelot qu’elle agiterait pour éloigner le cheptel de ma rêverie, à l’instar du chien de pasteur qui aboie lorsqu'il a flairé l’approche d’un prédateur. Généralement, ces sons argentins sont accompagnés de jappements, hélas insuffisamment vigoureux pour que j’envisage un instant qu’elle puisse occuper dans mon élevage la place du meilleur ami de l’homme – même en accrochant une lourde cloche d’étain à son collier. Alors, nous demeurons là, fidèles l’un à l’autre, assis à une table trop étroite, moi, égaré parmi les bêlements rauques où me conduisent mes songes et, elle, mue par ses tentatives désespérées de ressembler à ne fut-ce qu’une seule de mes brebis, insensiblement plus galeuse qu’amante.

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À l’instar de mes 200 brebis divisées en vingt groupes et réparties dans des parcelles indépendantes les unes des autres, nos contemporains – autant dans son entourage que dans le mien – ne perçoivent de notre amour – et de la relation passionnelle en général – qu’une succession d’étapes chimiques dont nous aurions l’usufruit mais pas la nue propriété. Conséquemment, elle pourrait s’interrompre instantanément et n’importe quand, il ne nous en resterait rien de plus que l’impression de l’avoir vécue. D’ailleurs, c’est dans ces termes-là qu’ils nous prédisent l’avenir proche, avec abaissement des bras et déclin de la passion, et cela sous l’empire mathématique du fonctionnement hormonal – qui à les entendre serait de tous les combats. Par chance ou par malchance, 200 brebis hébétées par cette bonne parole paraissent toujours plus enclines à stagner dans une promiscuité d’indifférence infecte que nous qui, agités par les spasmes d’orgasmes incessants ou aveuglés d’avoir en permanence un soleil intérieur dans les yeux, n’apercevons pas les signes d’usure et les paramètres d’une réalité nous concernant peu.



(2010)


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