mercredi 30 novembre 2016

très tôt il fut jeté aux chiens (Extrait 4)

[...] L’un d’eux serait capable dès le lundi suivant de se mettre à titiller la loyauté toute neuve de la fillette qui n’avait sans doute pas encore eu le loisir d’identifier avec exactitude d’où provenaient les ondes de bien-être qui depuis quelques semaines lui parcouraient en permanence le bas du dos, le ventre et lui bourraient les guibolles de coton. 
Ceci, sans même évoquer le risque que représentait le sénescent qui se postait au quotidien en face du lycée et invitait les damoiselles à s’approcher des bâtons d’eau gelée qu’il brandissait à la régalade comme un athlète omnisports s’apprêtant à se lancer dans des épreuves multiples et qui se frotte préalablement à tout ce qui est susceptible de lui porter chance – en l’occurrence les mains et les avant-bras qui s’engouffraient et tripatouillaient dans la glacière lui servant de chausse-trappe. 
Les potes, ils riotaient méchamment de l’expectative que le gaillard ait perdu son temps et au final ne rafle pas la mise – ce qui ne serait qu’un moindre mal s’il avait eu entre-temps la possibilité de gicler bien dru dans ce qui s'annonçait d’emblée comme un joli con tout rond, riche et odorant. La famille qui se nichait autour avait l’air d’y tenir comme à la prunelle de ses yeux. Les compères avaient tous observés comment la mère halait sa fille par un bras pour la plaquer contre son dos, pratiquement à distance de chaleur humaine. Ce qui n’offrait aucune marge à la jeunette pour se rapprocher de l’élu de son cœur (puisque ses yeux avaient buté dessus) ni pour se démettre la colonne en se retournant pour lui sourire. 
L’élu devait se résigner à la suivre et agiter au bout de son bras une barbe-à-papa ou une pomme rouge glacée dans le sucre, comme un fanal et, surtout, comme la promesse de futures transgressions qui les colleraient l’un à l’autre et les maintiendraient bien serrés grâce au sirop de glucose ou à toutes les sucreries que proposaient les vendeurs du dimanche soir. 
Quelquefois l’élu se rapprochait du marchand de pop-corn qui grillait son maïs dans une structure parallélépipède vitrifiée à l’intérieur de laquelle un air chaud, insufflé depuis la base, faisait tressauter et bondir les grains jaunes et graisseux, jusqu’à qu’ils éclatent en crépitant et déploient leurs moignons d’ailes et leurs silhouettes acéphales, visibles de loin grâce à une ampoule pendue à l'intérieur de la boîte qui illuminait quiconque s’en approchait – l’élu, le cas échéant – comme pour un instantané. La meilleure image que la jeune vierge aurait donc avant longtemps serait celle de son amoureux masquant à sa vue le maïs soufflé qu’elle aimait tant et qu’elle se réjouissait de déguster – pourvu qu’on la libère un peu. 
C’est qu’elle ignorait quelle était la réelle teneur de cette aventure qu’on appelait l’amour et qui dans les télénovelas projetaient de fragiles pucelles dans les bras vigoureux de bruns ombrageux qui passaient à cheval dans le comté et qui n’avaient aucune intention de s’y arrêter plus longtemps que le temps qu’il leur faudrait pour tordre le cou à quelques fomenteurs d’injustice. 
Chez eux des injustices il n’y en avait guère hormis celles qu’un vieil instituteur à la face cramoisie et outrancièrement binoclarde ressortait cycliquement de derrière les fagots – aidé en cela par un obèse avocat de la ville qui avait certainement un intérêt à essayer de fiche la zizanie dans le Hameau – pour émoustiller ses élèves les plus romantiques, qu’il retenait parfois après les leçons pour leur enseigner des poses révolutionnaires à même de leur faciliter l’accès au premier monde ou aux abords du pays frontalier du nord. 
Excepté ce zinzin-là et le fait que sa mère refusa chaque semaine de lui acheter des colliers fuchsias ou des bracelets zinzolins qui détonneraient avec une perfection insolite sur sa peau ambrée, il n’y avait aucune raison qu’un bellâtre ne fasse jamais halte dans son bled. Ainsi qu'elle s'apprêtait à se contenter du téméraire qui s’accrochait à présent à un de ces ballons d’hélium que trafiquait l’astucieux idiot qui depuis tout môme marchandait des produits de seconde main. Quand il n'usait pas d’un triporteur pourave pour reconduire les gens chez eux contre une pièce ou deux ou un repas – dont il ne mangeait jamais qu’une partie et enveloppait l’autre pour sa mère, apparemment malade ou alitée, ou pour de plus mystérieux motifs. En effet, si nul ne la rencontrait, son fils par-contre s’était trimbalé quelques années avec un frérot minuscule qu’il traitait comme un ouistiti et à qui il apprenait d’innombrables trucs et à tirer sur toutes les ficelles qui existaient là où ils habitaient – avant que le gamin ne disparaisse et que la rumeur ne se propage qu’il avait été échangé ou vendu par son frangin. Qui dès après sa disparition était devenu propriétaire d’une petite affaire de location de films de Walt-Disney. 
Elle n’avait pas le choix, notre brunette et, de toute évidence, ça n’était pas le genre de question sur lesquelles elle achoppait. Elle était davantage soucieuse de son chemisier qui n’était pas aussi ajusté qu’il aurait pu l’être ou de son tube de gras à lèvres qu’elle n’osait pas tirer de son sac-à-main en présence de sa génitrice mais qui aurait été bien utile car elle pressentait que ses lèvres en avaient laissé la plus belle part sur l’hostie de la communion, à laquelle elle avait à nouveau participé contre son gré. 
Las c’eut été trop ostensible de se saisir maintenant d’un objet tel que celui-là – d’autant que les mauvaises pensées des gens cloués à leurs bancs auraient pu en être attisées et ils auraient eu tôt fait de colporter à qui-mieux-mieux qu’elle essaimait de curieuses invites pour les mâles du Hameau. Qui n’avaient pas besoin qu'on les émoustille pour se conduire comme des clébards. 
Elle avait compris depuis belle lurette déjà que sa vie aurait à faire l’économie des tous les gestes spontanés ou non-transmis par des instances maternelles ou avunculaires et que seuls lui seraient autorisés les mouvements rigides et solidement corsetés par un ordonnancement ancestral dont nul ne connaissait véritablement l’origine mais que chacun respectait ou feignaient de prendre en compte à l’heure d’emballer son désir ou le feu qu’il avait au cul (soyons précis) dans des atours respectables.[...]


(2015)

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