mercredi 23 novembre 2016

NAGASKIEV - Roman (Extrait 1)

(-- Roman gentiment recalé à tous ses examens de passage pour cause de délire outrancier, de décalage inadéquat, d’outre-passement des règles du bon goût et de la bienséance littéraire, de rage de vivre plus, plus grand, plus fort, plus démesurément, plus à côté mais à la fois plus en dedans, à contre-compromission et dans le refus absolu de la position quadra-sutra du confort --


[...] 
La réunion fût déclarée officielle. 
Les camarades étaient affublés de leurs meilleures barbes. C’était jour de fête ! Ils avaient reçus des nouvelles de Nagaskiev… Jusqu’à présent, secrètes. Excepté un ouvrage de Cuisine d’Ailleurs, qu’ils étrennaient en cette occasion. 
Quelques journalistes désœuvrés furent loués pour couvrir l’évènement. On leur expliqua ce qu’ils devaient faire. 
Myrte, puce en colère juchée sur un tabouret, se lança dans un minuscule, mais capital, discours. Elle s’exprimait au nom de tous ! Des barbus pour de vrai (c’était un début…), l’applaudirent à tout rompre… Ils voulurent même brûler de l’encens… Cependant, un barbu, pour de vrai également (et postiche à la fois…), s’interposa violemment. S’ils n’en vinrent pas aux mains, c’est qu’ils se civilisaient un peu plus à chaque seconde. Le bien barbé leur fit comprendre qu’ici, ils se trouvaient entre gens véritablement décidés… Pro-Sud jusque dans l’eau du bain ! Et qu’à la rigueur, ils pourraient défendre la Palestine… mais l’encens, non !... Trop taoïste ! En outre, les babas cool l’avaient fichu en l’air en se l’envoyant. Pas sérieux ! Voire pire… 
D’autant plus que pendant ce temps, Nagaskiev mourait radicalement en première ligne ! Lentement, peut-être, mais sûrement. Ça serait franchement indécent ! Par contre, s’ils désiraient adhérer à la Cause comme au cul d’une poêle, il leur était encore loisible de s’inscrire… Nulle cotisation n’était négligeable ! 
Indéniablement cons, les types se firent passer un joint en chantonnant qu’il était né le Divin Encens… Etcetera. Barbu-barbu, le postiche se détourna d’eux… Pas la peine d’insister. 
Au premier rang des rangs qui s’étaient formés par réflexe grégaire de l’assemblée, un comique exigeait qu’on lui parle de la solitude… Il gueulait comme un possédé. Réclamait la solitude. Qu’on la le lui amène ! Sur un plateau ! Il lui couperait la tête lui-même ! « La solitude ! La solitude », scandait-il… Et la foule reprenait en chœur… 
Mais sur son tabouret, imperturbable et haute comme trois pommes, Myrte amorçait son discours… En guise de sarcasme, les journalistes mordaient leur crayon… Myrte débuta: « Camarades, camara-DES, camarades, cama-RA-des, CA-marades, ca-MA-rades, … PoC-PoC !? » 
Etant donné que la majorité des membres du Comité s’attendait à un sabotage de la part de la Sûreté d’Etat, le micro apparemment en parfait ordre de marche la décontenança. Ce sabotage avait fonctionné puisque, lourdement, Myrte chût de son mont de nain comme une feuille morte et qu’un type, à la solde de Dieu sait qui, pou rageur, une paire de ciseaux entre les doigts, s’y hissa et poursuivit à sa place : « Camarades, militants sous Nagaskiev, notre héros qui va aux cieux, je déclare publique la clandestinité !... » 
En arrière-plan, Daniel Pachamama, un chanteur du plus extrême sud des cartes géographiques, tirait dangereusement sur sa longe de chanvre. Ils l’avaient acheté dans un souk à esclaves, histoire de désacraliser le meeting et prouver leurs affinités avec les peuples qu’ils libéreraient ! 
Sur le tabouret, ça ne s’arrêtait plus : « … Nous ne possédons que la jeunesse pour nous immortaliser, méditons-le ! Après, c’est trop tard ! Ça devient de la survie ! Tout le monde en est capable… » 
La camarade s’excusait… Un camarade se levait… De la table-bar au faux public, d’incessantes allées et venues offraient un palliatif intéressant. La camarade s’excusait… Un camarade se mouchait… Un rhume de Là-bas ? Non, des foins ! La camarade s’en excusa… La camarade s’excusait… On se pardonnait bien volontiers ! Les camarades se levaient… La bière ! La camarade s’excusait… Les sanitaires ? Au fond de la cour aux odeurs authentiques ! Des odeurs de Là-bas ? Non, de l’urinoir… On s’excusait… La camarade cherchait son sac à main… Un sac en fibres naturelles ? Non, … un sac en daim ! Elle s’excusait… On la comprenait… C’était sans doute du daim mort ! 
Du tabouret : « … Camarades, quelqu’un parmi vous aurait-il l’amabilité de me monter une bière et des sandwichs au jambon ?... Merci ! Monsieur le ?... Monsieur le présicole de l’agrigant… Merci ! Camarades, notre Cause a besoin d’injustices fraîches, d’horreurs au goût du jour, du récent, du moderne ! Des privations d’ecstasy ! De la musique en dessous de 180 décibels ! Car, entendons-nous bien, si des atrocités vieilles comme le vieux continent, le nôtre, fondent encore, par principe, une révolution, les médias se sont un peu lassés de les retransmettre… L’heure est au sang neuf sur les marches du palais ! C’est pourquoi, camarades, les camarades et moi-même, nous avons entrepris des études prolongeables à souhait… Des doctorats ! Et ce dans des matières n’offrant aucun, j’ai dit aucun ! , débouché sur l’actuel marché de l’emploi !... » 
S’excusant, la camarade appelait son sac en distribuant des bières… 
Le tabouret : « De la sorte, une fois docteurs et superflus dans nos bleus d’ouvriers rouges, nous serons munis d’excellentes et légitimes raisons de casser syndicalement nos gamelles sur la gueule des traîtres qui nous gouvernent ! De notre dignité dépouillés, plus rien ni personne ne sera en mesure de nous couper les voies de l’insurrection !... Je dois vous avouer, mes camarades, que cette stratégie de premier ordre m’a été suggérée par un jeune rédacteur syndical… Un tel Fabristi ! Je décerne à ce plus que frère, au grand absent de ce jour glorieux, ma gratitude sans limite ! C’est encore lui qui nous à démontré, et avec combien de patience, que sans être détenteurs des plus prestigieux diplôme, notre insurrection prolétaire n’aurait absolument aucune raison d’être… Car, et je m’autorise à le citer : Nous mériterions notre sort !!!... Comme n’importe quel ouvrier ! Sa clarté d’esprit et son discernement remarquable, vous en conviendrez en y réfléchissant, ne sauraient être rapprochés que des mêmes qualités d’un autre camarade, notre illustre prédécesseur à tous, qui organisait le coup de poing au fond des poches dans les banlieues minables de Londres le siècle dernier… Et dont le nom et la nationalité m’échappent pour l’instant, ne m’en tenez pas rigueur… » 
La camarade s’affolait. Son sac avait disparu ! Le gars descendit de son tabouret pour participer à la recherche. L’assemblée entière se levait. On lançait des idées en l’air pour voir comment elles retombaient. Sonder des canaux. Passer les corps aux résonances magnétiques. Et cetera. La bière ! Fouillait éperdument la camarade… 
Daniel Pachamama qui était en train de gratter le sol de ses ongles à guitare fut détaché. On le cloua sur le tabouret. La camarade pleurnichait… Pachamama, indécent comme il se doit, rendit des hommages hors de propos… La perte d’un sac de dame, en chevreuil écrasé à demi par une voiture d’enfant ne semblait pas l’émouvoir plus que ça… On découvrit un yo-yo par terre… Ça n’était pas le sac ! Quoique !... Il réconforta malgré tout la camarade en bout de course… Elle l’enroula autour de sa dextre et laissa onduler son désespoir… Toutes ses cartes de crédits, son permis d’incendier et du beau monde, se trouvaient dans la poche ventrale du sac en kangourou rare… Sans compter les clefs d’automobile de sa mère, d’un lointain cousin et celles du vestiaire des vétérans de tir au parapluie d’un club où elle encaissait les marrons chauds… Et les siennes de clefs ! Qui l’ouvraient pour de vrai… 
Inculte ou insensible, plus sûrement les deux, le chanteur n’avait d’autre hâte que d’entamer des refrains à l’oignon de rose, des hymnes à la pauvreté heureuse ou à la misère acceptable, de tous ces slogans vulgaires, prétextes à une stagnation non discutable, que diffusaient sans demander leur reste les veules capitalistes de cette basse sphère. 
Par bonheur, nul dans la salle ne lui prêtait attention… On était en quête d’un sac en peau de chien… Et bientôt, résultat des efforts conjoints, on retrouva le sac en peau de chauve-souris suspendu tête en bas sous une chaise… Scotché à ses côtés, un aviateur anglais d’antan qui n’avait jamais réussi depuis lors à se déplier en parachute !... 
Pour célébrer les retrouvailles, une sangria d’enfer fut concoctée dans une marmite à potion magique… L’aviateur était de la partie ! Et même les agents de la Dureté d’Etat qui sommeillaient pacifiquement dans un fourgon blindé au bas de la rue… Daniel Pachamama, fauteur de troubles mystiques, leur fut livré par les camarades les plus enclins à épurer le système depuis ses entrailles… J’en apprenais davantage à chaque grimace. Un sacré matériel de base. De quoi démarrer à cent trois à l’heure ! C’était parti pour ne plus s’arrêter.
[...] 


(2001-2002)

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