dimanche 24 juillet 2016

très tôt il fut jeté aux chiens (Extrait 1)




Leurs nuits étaient des petits morceaux de pains jetés à des oiseaux imaginaires. Je n'en ai pas eu grande connaissance si ce n'est qu'elles leur permettaient de retrouver l'entité, pas nécessairement perdue, dont ils avaient besoin pour accéder à la pureté. Ils y butaient sur le souvenir de journées qu'ils avaient à remodeler, impérativement. Leurs élans s'apparentaient aux trilles des oiseaux. Lancées depuis le nid. Leurs propos purifiaient leur mauvais lait. Ils se tordaient les pognes pour se punir d’avoir rêvé qu'elles quittaient leurs corps pour s'envoler vers des sphères féminines. Ils se reprochaient douillettement, au début, tous les mots qui les avaient suivi. À la traîne dans leur sillage. Les mots qui s'étaient retournés au passage du colibri. Sourires. La formule les exonérait de la culpabilité. Ils se congratulaient pour l'avoir trouvée. Quelle beauté. Quelle humanité poétique, tout de même, transparaissait sous la menace de la chair. Cela valait peut-être la peine d'être exploré. En tout cas, ça semblait dépasser le désir liquide brutalement induré dont Barnum avait fait le fer de lance de ses conversations. Ensemble ils avaient le sentiment de ramener l'amour sur la palette des couleurs de base. Ils pouvaient encore décider du mélange qui conviendrait le mieux à leur idéal. Tout restait à faire. Tout était pur. Par une giclée, pas une souillure, pas une trace de rouge dans la concavité du bleu. Intactes étaient les tonalités. Leurs bouches produisaient des bruits de cellophane dès qu’elles approchaient un être. Que leurs voix mêlées déballaient précautionneusement. Sans intention d'en user. Désireux seulement de voir comment il était fait. Comment il fonctionnait. À combien de sœurs et de nuages il était relié. À chaque phrase pouvait être annexée une tirade de la joliesse. Ils ne s'en privaient pas. Persuadés de réinventer un ciel pour chaque chose. Avec leurs toutes petites pognes, ils agrippaient ce qu'ils pouvaient, griffaient ça et là le terne des surfaces pour en révéler l'aspect doré. Ça suivait un cours immuable et pourtant aucune phase ne s'achevait jamais. Les points de suspensions s'étiraient entre eux à l'infini et ils avaient beau courir pour se rejoindre, ils ne s'atteignaient qu'à moitié, corpuscules stupides et fats échoués l’un au bord de l'autre, à s'écouter geindre ou maudire (les jours d'audace) à propos d'une cuisse presque aperçue ou d'une minuscule culotte retournée par le vent sur le fil où elle s'exhibait. Partout des images agressaient leur pruderie. Les moments enflammés alternaient avec les instants de chute dépressive. Chacun demandait à l'autre de lui asséner ces gifles qui seraient les seules nouvelles qu'ils auraient jamais de cette pubère fluette enrobée d'un volant de toile à qui ils n'avaient pas osé adresser la parole. Puis ils examinaient leurs paluches comme des ogres stupéfaits d'avoir eux aussi touché les tavelures des mangues étalées ou avachies dans le fond du local de la marchande quatre-saisons. Pognes coupables mues par des instincts qui portaient leurs corps au-delà de l'orbe douce des regards et des collines et du plaisir sans calcul de l'observation attentive des cheveux voletant affinés par les vents tièdes du matin. Mains qu'ils voulaient petites et quasi colombophiles. Rieuses et gentillettes. Plissées en forme de sourires béats. En cui-cui pour le chat qui les serre amicalement de sa dextre puissante avant de reprendre le cours de son existence de gagnant. Tandis qu’eux, sur la touche, devisent à propos des plumes de mouettes ou d'autres volatiles, qu'ils ont réussi à conserver auprès d'eux, en dépit de la tentation d'emplir de duvet des enveloppes pleines et de les envoyer à tous les coins cardinaux, là où vivaient les greluches fantasques qui tentaient de les rendre fous avec leurs lots de jambes, qu'elles avaient aussi nombreuses que leurs dents (sans compter les dents de sagesse) et qui s'évertuaient à leur faire oublier la munificence d'une femme mauve dans un triangle d'or. Ainsi, le soir, sous des étoiles auxquelles ils n'avaient pas grand-chose à reprocher – les jeunes filles étant bien pires qu'elles – et avec sur la table ou sur le ciment séparant leurs corps, de la matière grasse pour adoucir le goût rance du pain et des produits laitiers sans rapport aucun avec quoi que ce soit de sexuel, ils se tartinaient d’infâmes sandwichs. Parfois, les soirées trop chaudes, Sowa expliquait à Lotte la trigonométrie. Matière ayant la vertu d'apaiser les esprits les plus échauffés et désamorcer n'importe quel sentiment. D'épris tous azimuts, ils se muaient en mathématiciens de peu d'envergure. La nuit était sauve. Les étoiles se remettaient à briller de tous leurs feux. Les plumes étaient alors abandonnées à leur sort dans un tiroir ou épandues à même le sol. Où elles se dispersaient et rassemblaient au gré des courants d'air.


(2015)

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